Après plusieurs mois de mobilisation syndicale et d’affrontement politique, plusieurs journées nationales de grèves et de manifestations et trois recours à l’article 49-3, la loi dite Travail du 8 août 2016 « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels » est définitivement inscrite dans le droit français suite à sa publication au Journal Officiel et sa déclaration de conformité par le Conseil constitutionnel.
Les Sages ont cependant indiqué que le « Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé d’office sur la conformité à la Constitution des autres dispositions de la loi dont il n’était pas saisi. Elles pourront, le cas échéant, faire l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité. »
Il faut donc s’attendre au dépôt de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et la censure postérieure de plusieurs articles de la loi.
Si certaines mesures sont d’ores et déjà entrées en vigueur, plus de 100 décrets d’application sont attendus. En outre, l’application de certaines dispositions est expressément différée par le texte de loi.
Cette loi tant décriée pose les jalons d’une nouvelle architecture en droit du travail et en matière de dialogue social.
Dans l’ensemble, le texte assouplit de nombreuses règles du Code du travail en privilégiant le recours à la négociation collective, notamment en matière de temps de travail. Mais cette loi prévoit également des dispositions concernant le licenciement économique, les heures supplémentaires ou les visites médicales au travail.
Compte tenu du nombre important de mesures nouvelles que cette loi contient, la présente lettre d’information fait état, de façon synthétique, des principales évolutions législatives.
Les avocats du département social du cabinet CBA se tiennent bien évidemment à votre disposition pour vous accompagner dans la mise en œuvre de ces mesures.
Nous vous souhaitons à tous une agréable lecture de ce numéro de CBA News réalisé par les avocats du département social du cabinet.
Décryptage des mesures phares de la loi n°2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dite « loi Travail ».
* La durée des conventions et accords collectifs : une durée déterminée de 5 ans devient le principe
L’article 16 de la loi prévoit qu’à défaut de stipulation sur la durée, les conventions et accords collectifs ont une durée de 5 ans, et non plus une durée indéterminée.
Il en résulte que les conventions et accords peuvent :
– Soit ne comporter aucune clause relative à leur durée. Ils sont alors, en vertu des nouvelles dispositions, considérés comme conclus pour une durée de 5 ans, à l’issue de laquelle ils cessent de produire effet ;
– Soit prévoir qu’ils sont conclus pour une durée indéterminée. Les partenaires sociaux sont cependant incités à négocier régulièrement, y compris en présence de conventions et accords à durée indéterminée, par le biais de clauses de rendez-vous ;
– Soit prévoir qu’ils sont conclus pour une durée déterminée plus courte ou, au contraire, plus longue que les 5 ans prévus par la loi, à l’issue de laquelle ils cessent de produire effet.
Arrivés à expiration, les conventions et accords ayant une durée déterminée cessent de produire leurs effets. Ainsi les dispositions du code du travail aménageant les effets de la dénonciation ou de la mise en cause d’un accord, en prévoyant notamment un délai de survie de celui-ci pendant un an, ne s’appliquent pas au terme des accords à durée déterminée.
* Consécration de l’accord majoritaire dans l’entreprise
La loi prévoit de généraliser d’ici au 1er septembre 2019 le principe de l’accord majoritaire au niveau de l’entreprise et de l’établissement.
Pour être valide l’accord d’entreprise ou d’établissement devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives représentant plus de 50% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections. A défaut et dans l’hypothèse où l’accord aurait été signé par des syndicats ayant recueilli plus de 30% des suffrages, une ou plusieurs organisations disposeront d’un délai d’un mois à compter de la signature de l’accord pour indiquer leur souhait d’une consultation des salariés pour valider l’accord.
* Révision des conventions et accords collectifs facilités
L’article 17 de la loi Travail refond la procédure de révision des conventions et accords collectifs afin de l’adapter aux évolutions des règles de représentativité syndicale.
Dans les entreprises dotées de délégués syndicaux, le nouvel article L2261-7-1 du code du travail prévoit deux procédures de révision selon que le cycle électoral est en cours ou achevé.
Pendant la période correspondant à un cycle électoral, l’engagement de la procédure de révision est réservé aux seules organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d’application de la convention ou de l’accord et signataires ou adhérentes de cette convention ou accord.
A l’issue de cette période, la procédure de révision des accords d’entreprise et d’établissement pourra être déclenchée par toutes les organisations syndicales représentatives, qu’elles soient signataires ou non de l’accord. Autrement dit, après chaque nouvelle élection professionnelle, la procédure de révision est ouverte à tous les syndicats représentatifs même à ceux n’ayant pas signé le texte conventionnel ou adhéré à celui-ci.
Dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, pourront réviser les conventions ou accords collectifs d’entreprise :
– Des élus mandatés par une ou plusieurs organisations représentatives au niveau de la branche ou, à défaut, au niveau national ou interprofessionnel (C. trav., art. L2232-22 modifié)
– A défaut, des élus non mandatés par des syndicats (C. trav., art. L2232-22 modifié)
– A défaut, des salariés non élus mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de la branche ou, à défaut, au niveau national et interprofessionnel (C. trav. art. L2232-24 modifié)
* Dénonciation des accords : anticipation de l’accord de substitution et la fin des avantages individuels acquis
En cas de négociation d’une convention ou d’un accord collectif par la totalité des signataires employeurs ou salariés ou par des syndicats majoritaires, il est désormais possible de négocier un accord de substitution dès le début du préavis de dénonciation. La négociation peut donc donner lieu à un accord, y compris avant l’expiration du délai de préavis de 3 mois (C. trav, art. L2261-10 modifié)
La nouvelle loi met également fin aux avantages individuels acquis. En effet en l’absence de convention ou d’accord de remplacement conclu dans un délai d’un an à compter de l’expiration du préavis de dénonciation d’une convention ou d’un accord collectif, les salariés ne conservent plus les avantages individuels acquis en application du texte dénoncé, mais seulement leur rémunération antérieure. Ces nouvelles dispositions s’appliquent également en cas de mise en cause de l’application d’une convention ou d’un accord, si aucun accord de transition ou de substitution n’est trouvé (C. trav. Art, L2661-13 et 14).
* L’accord d’entreprise ou d’établissement devient le niveau de droit commun en matière de durée du travail
La loi entend encourager la négociation au niveau de l’entreprise.
Dans les domaines suivants, l’accord d’entreprise s’appliquera en priorité, l’accord de branche n’intervenant qu’à défaut d’accord d’entreprise : la détermination du taux de majoration des heures supplémentaires, la rémunération des temps nécessaires à la restauration et aux pauses, l’assimilation des temps nécessaires aux opérations d’habillage, la mise en place des astreintes, les dérogations à la durée maximale quotidienne et hebdomadaire du travail, la dérogation à la durée minimale du repos quotidien, la définition des jours fériés et chômés, la mise en œuvre des congés payés dans l’entreprise, la mise en place d’horaires à temps partiel, la détermination des délais de prévenance pour les changements d’horaires des salariés à temps partiel ainsi que les modalités de reports d’heures en cas d’horaires individualisées.
* Les motifs de licenciement économique clarifiés
La loi travail procède à une redéfinition des critères du licenciement économique, notamment en complétant la liste des causes économiques prévues par le Code du travail et en précisant la notion de difficultés économiques.
La loi inscrit la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et la cessation d’activité parmi les causes possibles de licenciement économique. Elles s’ajoutent aux difficultés économiques et aux mutations technologiques déjà prévues jusqu’alors.
La loi définit par ailleurs la notion de difficultés économiques lesquelles sont désormais caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés.
La baisse des commandes ou du chiffre d’affaires doit par ailleurs être constatée sur une durée différente en fonction de l’effectif de l’entreprise. Concrètement la baisse significative est constituée dès lors que cette baisse est au moins égale à :
– Un trimestre pour une entreprise de mois de 11 salariés
– Deux trimestres pour une entreprises entre 11 et 49 salariés
– Trois trimestres pour une entreprises entre 50 et 299 salariés
– Quatre trimestres pour une entreprises de 300 salariés ou plus
La loi n’apporte aucune précision sur l’importance de la baisse. Ainsi le juge restera libre de son interprétation sur les chiffres avancés par l’entreprise.
Ces dispositions entrent en vigueur le 1er décembre 2016.
* Sécurisation du régime du forfait-jours
Aucune entreprise ne peut ignorer les ravages causés par la jurisprudence relatives aux clauses forfait-jours en ce que de nombreux accords de branches ont ainsi été reconnus comme insuffisants au regard des modalités de contrôle des temps de travail des salariés.
La loi Travail apporte, de ce point de vue, davantage de sécurité juridique, ce dont il faut se réjouir.
La loi reprend les principes érigés par la jurisprudence, exigeant des conventions de branches qu’elles comprennent, sous peine de nullité, des garanties minimales en termes de santé et de sécurité.
Doivent, en effet, être insérées dans l’accord collectif de nouvelles clauses de nature à satisfaire les exigences que rappelle sans cesse la Cour de cassation. L’accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit déterminer les modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail, les modes d’échange entre employeur et salariés sur la charge de travail, l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle, la rémunération et l’organisation du travail en entreprise. Doivent aussi être déterminées les modalités d’exercice par le salarié de « son droit à la déconnexion ».
La loi prévoit également des modalités supplétives de suivi afin que les employeurs, qui seraient couverts par un accord de branche, ou d’entreprise insuffisamment précis puissent continuer à utiliser valablement le dispositif du forfait jour et que les salariés bénéficient de ce suivi.
Ces modalités sont les suivantes :
– Etablir un document de contrôle faisant apparaitre le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées
– S’assurer que la charge de travail est compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire
– Organiser un entretien annuel avec le salarié
* Aménagement du temps de travail sur 3 ans
La loi Travail permet, à condition que l’accord de branche l’autorise, qu’un accord d’entreprise prévoit une variation de la durée du travail sur une période supérieure à un an, dans la limite de 3 ans (C. trav., art. L3121-44).
Les partenaires sociaux devront négocier une limite hebdomadaire au-delà de laquelle les heures effectuées seront en tout état de cause considérées comme des heures supplémentaires, et rémunérées comme telles à la fin du mois (C. trav., art. L3121-44 3°)
En l’absence d’accord collectif, l’employeur peut, par décision unilatérale, mettre en place un aménagement du temps de travail sur neuf semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés et quatre semaines pour les autres entreprises (C. trav., art.L3121-45 nouveau).
* Les accords de préservation ou du développement de l’emploi
Actuellement la loi prévoit la possibilité pour une entreprise qui rencontre des difficultés de signer « un accord de maintien dans l’emploi » (également appelé « accord défensif ») dans lequel peuvent notamment être prévu des modifications de salaire ou de temps de travail.
Dans un but de développement de l’emploi, la nouvelle loi prévoit d’ouvrir cette possibilité d’accord en cas de développement de l’entreprise (accord dit « offensif »), notamment lorsque celle-ci souhaite conquérir de nouveaux marchés et signe de nouveaux contrats. L’entreprise pourra alors faire travailler davantage ses salariés afin de répondre aux nouveaux besoins de son activité. Cet « accord de développement de l’emploi » pourra être appliqué pendant une durée de 2 ans.
Le texte prévoit qu’un salarié qui refuserait de se voir appliquer l’accord pourra être licencié par l’employeur. Il s’agirait alors d’un licenciement pour « motif spécifique », qui suivra la procédure d’un licenciement individuel pour motif économique, mais sans les mesures de reclassement.
* La réforme de la médecine du travail
La visite médicale d’embauche est remplacée par une visite d’information et de prévention, à l’exception des salariés affectés à des postes à risques. N’étant pas un examen médical, celle-ci peut être effectuée par un membre de l’équipe pluridisciplinaire autre que le médecin du travail (collaborateur médecin, interne en médecine du travail et infirmier). Celui-ci peut toutefois orienter le salarié vers le médecin du travail sans délai si cela s’avère nécessaire.
La périodicité du suivi médical, jusqu’ici tous les deux ans, sera défini par décret.
* Inaptitude physique : des procédures simplifiées
La loi modifie en profondeur les règles applicables en matière d’inaptitude physique du salarié, domaine qui suscite un abondant contentieux.
La loi supprime l’obligation d’une double visite médicale pour constater l’inaptitude du salarié. Dorénavant, le médecin du travail déclare le salarié inapte à son poste, s’il constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste.
Toute décision d’inaptitude doit toutefois être précédée d’une étude du poste du travail du salarié et d’un échange entre le médecin du travail, l’employeur et le salarié. Une fois sa décision prise, le médecin doit recevoir le salarié en rendez-vous pour échanger avec lui sur cette décision et sur les indications et propositions qu’il compte adresser à l’employeur.
La nouvelle loi prévoit que l’employeur est réputé avoir satisfait à son obligation de reclassement dès lors qu’il a proposé un poste répondant aux conditions légales, c’est-à-dire approprié aux capacités du salarié après avoir recueilli l’avis des délégués du personnel et respecté les indications du médecin du travail, et ce, quelle que soit la cause de l’accident ou la maladie.
En outre si l’employeur souhaite contester l’avis du médecin du travail, il doit désormais saisir le conseil de prud’hommes en référé d’une demande de désignation d’un médecin-expert.
Enfin la loi prévoit un nouveau cas possible de rupture du salarié inapte. L’employeur peut désormais rompre le contrat du salarié inapte sans avoir à rechercher de reclassement dès lors que l’avis du médecin du travail mentionne expressément que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.
* Réseau de franchise : une nouvelle instance de dialogue social
L’article 64 de la loi permet la mise en place dans les réseaux de franchise d’une instance de dialogue commune à l’ensemble du réseau de franchisés.
Sont concernés les réseaux d’exploitants d’au moins 300 salariés en France, liés par un contrat de franchise tel que défini à l’article L330-3 du Code de commerce. Ledit contrat doit contenir des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées.
La mise en place de l’instance de dialogue doit être demandée par une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau, ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau. Le franchiseur doit alors engager une négociation visant à sa mise en place.
L’instance comprend des représentants des salariés et des franchisés et est présidée par le franchiseur.
L’accord mettant en place l’instance prévoit plus spécifiquement sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour participer à cette instance et leurs modalités d’utilisation. A défaut d’accord le nombre de réunions de l’instance est fixé à deux par an.
Autres mesures
– La loi Travail invite à la conclusion d’un accord de méthode à tous les niveaux de négociation, permettant à la négociation de s’accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties (C. trav., art. L2222-3-1 nouveau)
– Afin de faciliter une meilleure connaissance du droit conventionnel, les accords seront accessibles à tous à travers une base de données publiques nationale et gratuite
– A compter du 1er janvier 2017 l’employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique sauf opposition du salarié
– Les jeunes parents sont désormais protégés durant 10 semaines contre une éventuelle mesure de licenciement
– Le travail de nuit peut désormais être autorisé jusqu’à 7 heures du matin.
– Un Compte Personnel d’Activité sera ouvert dès 2017, pour chaque personne qui débute sa vie professionnelle. Au fil de sa carrière, le salarié accumulera des droits et pourra décider de leur utilisation pour suivre une formation, être accompagné dans un projet de création d’entreprise, etc.
– Le règlement intérieur des entreprises peut « contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés », dans certaines limites
– L’obligation pour le salarié de demeurer à son domicile ou à proximité qui définissait auparavant l’astreinte a été supprimée. Désormais le salarié doit seulement ne pas se trouver sur son lieu de travail (C. trav., art. L3121-9 nouveau)