Point sur les prélèvements sociaux des revenus du patrimoine des non-résidents

La question de l’assujettissement aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine des non-résidents a fait couler beaucoup d’encre. Les décisions jurisprudentielles se multipliant, il convient de faire un point sur la situation.

Par un arrêt du 27 juillet 2015 n° 334551 et 342944, le Conseil d’Etat vient de s’aligner sur l’interprétation de la CJUE concernant l’application des prélèvements sociaux à des revenus du patrimoine de source étrangère perçus par un résident français et pose ainsi, le principe selon lequel en l’absence d’affiliation à la législation sociale française, un contribuable ne peut être assujetti aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine.

Au cas particulier, il a été jugé qu’un contribuable, salarié d’une société néerlandaise dont le siège social était au Pays-Bas, ne pouvait pas être regardé comme exerçant une partie de son activité en France, alors même qu’il y résidait.

En effet, la Haute Juridiction a considéré qu’il ne pouvait pas, en application du règlement européen sur la sécurité sociale, lequel pose un principe d’unicité de législation, être soumis à la législation sociale française et relevait du seul régime de sécurité sociale néerlandais. Par conséquent, ce contribuable ne pouvait pas être soumis aux prélèvements sociaux.

1 – Principe d’unicité de la législation sociale applicable et d’interdiction de double cotisation

Pour rappel, le Projet de Loi de Finances rectificative 2012, avait soumis aux prélèvements sociaux les revenus fonciers et les plus-values immobilières réalisées par des personnes physiques non-résidentes de France.

La Commission Européenne avait alors engagé une procédure d’infraction contre la France. Parallèlement, le Conseil d’Etat avait saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne le 29 novembre 2013 d’une question préjudicielle afin de l’interroger sur les prélèvements sociaux acquittés par les personnes physiques non-résidentes.

Le droit de l’Union Européenne (règlements du 14 juin 1971 et du 29 avril 2004) pose un principe d’unicité de la législation sociale applicable et d’interdiction de double cotisation, en matière de prélèvements sociaux.

Par conséquent, un travailleur ne peut être affilié qu’à un seul régime de sécurité sociale et doit ne cotiser qu’une seule fois.

Or, la CSG et la CRDS assises sur les revenus d’activité ou de remplacement financent le régime français de sécurité sociale.

Par conséquent, les contribuables résidents d’un Etat membre de l’Union Européenne autre que la France, affiliés à un régime de sécurité sociale dans cet autre Etat Membre et ayant acquitté en France des prélèvements sociaux au titre des revenus fonciers et/ou au titre des plus-values immobilières depuis 2012 peuvent solliciter le remboursement de ces prélèvements sociaux.

Par une décision du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France estimant que les prélèvements sociaux ne seraient pas un impôt mais des cotisations sociales qui, à ce titre, ne peuvent être réclamées à des individus qui ne bénéficient pas du régime qu’elles financent.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 17 avril 2015, n° 365511, qui reprend les motifs de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 février 2015 aff. 623/13, min. c/ de Ruyter, étend la solution de la Cour (adoptée à l’occasion d’un litige portant sur l’application des contributions sociales à une rente viagère constituée à titre onéreux) aux plus-values immobilières. La généralité des motifs de la Cour peut laisser penser que la solution vaut pour tous les revenus sur lesquels les contributions sociales sont assises dès lors que celui qui les perçoit ne relève pas d’un régime de sécurité sociale français.

Le non-assujettissement aux prélèvements sociaux devrait concerner tous les revenus, professionnels ou non (revenus fonciers, revenus de capitaux mobiliers, plus-values immobilières…) des affiliés à un régime de sécurité sociale étranger, sous réserve de l’absence d’affiliation en France.

2 – Possibilité de recours pour les ressortissants de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen

Les contribuables ayant acquitté à tort les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (notamment les revenus fonciers) ou sur les revenus de placement (notamment les plus-values immobilières) peuvent en demander le dégrèvement en présentant une réclamation auprès des services fiscaux.

Le délai de réclamation pour solliciter le remboursement des prélèvements sociaux acquittés à tort se prescrit au bout de deux ans. Ainsi, les contribuables concernés doivent adresser leur réclamation avant le 31 décembre 2015 pour solliciter le remboursement des prélèvements sociaux au titre des années 2013 et 2014.

Il est à préciser que la décision de la CJUE du 26 février 2015 concerne uniquement les non-résidents localisés au sein de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (Islande, Norvège et Liechtenstein).

Toutefois, les ressortissants de la Suisse devraient pouvoir également introduire une réclamation.

En effet, le règlement 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale abroge le règlement 1408/71 mais prévoit expressément dans son article 90 que ce règlement reste en vigueur aux fins de l’accord sur l’Espace économique européen et de l’accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, et ce aussi longtemps que les accords précités ne sont pas modifiés.

3 – Cas des non-résidents domiciliés dans un Etat tiers (hors UE ou EEE)

S’agissant des non-résidents situés dans les Etats tiers (hors UE ou EEE), il convient d’attendre une évolution de la législation.

Toutefois, il convient de préciser qu’afin d’éviter une distorsion entre les contribuables résidents au sein de l’Union Européenne et ceux domiciliés hors du territoire européen, le législateur est venu harmoniser le taux d’imposition des plus-values immobilières par la loi de finances n° 2014-1655 du 29 décembre 2014.

En effet, les articles 1 à 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen posent le principe d’égalité des contribuables devant la loi fiscale aux termes duquel le régime fiscal doit s’appliquer à tout contribuable placé dans une même situation.

De même, un principe de non-discrimination, appelé également clause d’égalité de traitement ou d’assimilation aux nationaux, figure dans la plupart des conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions.

Par un arrêt du 20 novembre 2013, le Conseil d’Etat avait jugé non conforme à la convention fiscale franco-suisse la différence de traitement opérée en matière de plus-value immobilière entre un résident fiscal suisse et un résident fiscal français. La convention fiscale suisse comporte une clause de non-discrimination dans son article 15-2 qui précise que l’impôt afférent aux plus-values immobilières doit être calculé de façon identique quel que soit le lieu de résidence du cédant.

De même, le Conseil d’Etat a jugé par un arrêt du 20 octobre 2014 n° 367234 que la différence de taux d’imposition d’une plus-value de cession d’un immeuble situé en France par une SCI selon que les associés personnes physiques résident ou non dans l’EEE constituait une restriction aux mouvements de capitaux. Il a considéré par conséquent qu’une SCI est soumise, en matière d’impôt sur le revenu, à un prélèvement sur ces plus-values au taux de 19 %, quel que soit le lieu de résidence de ses associés.

Tirant toutes les conséquences de cette jurisprudence, la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 (art. 60) est venue mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne le régime d’imposition des personnes physiques résidant dans un Etats tiers à l’EEE. Désormais, le taux d’imposition des plus-values immobilières réalisées par des personnes physiques, directement ou par l’intermédiaire d’une société dont les bénéfices sont imposés au nom des associés, est fixé à 19 %, quel que soit leur lieu de résidence (France, EEE ou Etat tiers).

Par conséquent, une personne physique non résidente, qu’elle soit domiciliée au sein de l’EEE ou non, qui cotise au régime de sécurité sociale de son pays de résidence ne peut être assujettie aux prélèvements sociaux en France.

Il nous parait fort probable que le législateur se saisisse de cette question lors de la prochaine loi de finances rectificative en fin d’année afin de clarifier la situation. Si tel n’était pas le cas, les recours contentieux se multiplieront.